Il existe plusieurs façons de raconter l’Histoire. Ce qui est au cœur de la collection de Boréalis, musée de Mémoires, ce sont les voix de ceux et celles qui ont vu leur vie façonnée au rythme de l’industrie des pâtes et papiers. De la même façon, l’écho de notre mémoire collective s’entend dans notre culture populaire, dans nos chansons. De l’usine à la forêt, cette liste d’écoute explore les différentes thématiques abordées dans l’exposition Transformations. Voici donc, pour le plaisir, une playlist non officielle de Boréalis !
Bonne écoute !
La vie de chantier
Ah ! Que l’hiver, Gilles Vigneault, 1967
Si d’emblée, on pense aux fameux Noël au camp de Tex Lecor qui refait surface, à chaque temps des Fêtes, je me permets d’exposer, avec Ah ! Que l’hiver, un autre point de vue : celui de la femme de chantier, c’est à dire, celle qui reste au bercail pendant que son mari est parti bûcher. Ce n’est que très récemment que j’ai découvert l’essence de cette chanson. Longtemps, je n’en ai connu que les premières paroles, parce que mon père avait l’habitude de me les fredonner chaque fois que je lui disais que j’en avais marre de l’hiver !
Touchante et émouvante, cette chanson se dévoile comme une petite carte postale venue d’un autre temps. Le temps d’une vie passée à attendre et à espérer. Un peu à la manière d’un hommage à toutes les Rose-Jeanne qui ont gardé la maison et qui se sont ennuyées.
La monotonie du travail à l’usine
La vie d’factrie, Clémence DesRochers, 1962
Magnifiquement écrite, sans fioritures, La vie d’factrie dépeint avec justesse une des lugubres facettes du travail ouvrier : un monde solitaire où le bruit impose le silence, et le gris, une bien triste couleur. Récemment intronisée au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens (2020), cette chanson poignante bouleverse par son réalisme dénudé.
Bien qu’il soit question d’une manufacture de coton des années 50 et non d’une usine de fabrication de papier, je ne pouvais me résigner à écarter ce bijou de storytelling. C’est une de mes chansons préférées, même si elle me fait immanquablement pleurer. Elle me rappelle cruellement que de pouvoir s’épanouir et aspirer à mieux, ce n’est malheureusement pas accessible à tout le monde.
Les mouvements sociaux et la syndicalisation
Comme un million de gens, Claude Dubois, 1966
Loin de la résignation, cet hymne phare des mouvements syndicaux évoque une prise de conscience sociale. Dressant le constat, d’une certaine misère, c’est par une cascade de verbes remplis d’espoir qu’elle se termine. Un peu comme un cri de ralliement qui donne envie de rejoindre le mouvement, d’unir nos forces pour le bien commun.
Aussi intronisée au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens (2008), cette chanson maintes fois reprise continue de faire son chemin. Soixante ans plus tard, elle fait toujours chanter en chœur tous ceux et celles qui rêvent de justice sociale.
De génération en génération
Une bûche après l’autre, Tricot machine, 2010
C’est avec la découverte de cette chanson qu’est née l’idée de ce billet de blogue. Elle m’a tout de suite fait penser aux témoins de l’exposition Transformations. Ceux qui racontent que de père en fils, ils travaillaient pour la CIP.
Il y a dans cette histoire, les images d’une vie simple et de labeur, et du temps qui passe à travers la répétition du geste. Une petite tranche de vie ordinaire, celle du fils qui marche dans les traces du père.
La fermeture : un monde qui s’écroule
Schefferville, le dernier train, Michel Rivard, 1983
De toute évidence, l’histoire de la (Canadian International Paper), ce n’est pas l’histoire de Schefferville, ville minière. Cependant, quand j’entends cette chanson, au tournant du refrain, les personnages prennent parfois les traits des témoins qui racontent le choc de la fermeture de la CIP, en 1992, pour une première fois, puis définitivement en 2000.
La première fois que j’ai entendu cette chanson, j’ai été soufflée. Des milliers de vies qui s’écroulent. Un avenir qu’on avait tenu pour acquis et qui ne tient plus. Non, la ville de Trois-Rivières n’a pas fermé et il n’y a pas eu de dernier train partant de la CIP, mais il y a eu, une fois le choc absorbé, l’obligation pour toute une population de se réinventer.
L’attachement pour la forêt
Léo Gagné, 2Frères, 2017
Léo Gagné incarne la version moderne des personnages à contre-courant des valeurs de la littérature du terroir québécoise, ceux qui ne pensent qu’à prendre le bois. À l’encontre de tout ce qu’on attend de lui, Léo choisit de poursuivre son rêve et s’en va bûcher. Il y a dans ces paroles le reflet de notre grand amour collectif pour la forêt et la liberté.
Vers d’oreille s’il en est, cette chanson inspire et donne envie de suivre sa voie. Il y a quelque chose en nous qui souhaite que Léo existe pour vrai, et qu’il ait trouvé le bonheur quelque part, en Haute-Mauricie.
Quand l’Histoire de Trois-Rivières fait la chanson
Le gars d’la compagnie, Cowboys fringants, 2000
Je termine cette liste d’écoute avec la joyeuse chanson des Cowboys fringants dont le texte engagé trace le portrait de près d’un siècle d’exploitation de la ressource par les entreprises forestières. Elle a été écrite en moins d’une heure, en réaction au film documentaire « L’erreur Boréale » de Richard Desjardins et Robert Monderie.
C’est avec cette chanson que j’ai découvert le groupe. J’étais loin d’imaginer qu’un jour, il m’aurait été donné d’ajouter plusieurs couches de profondeur historique à ce texte percutant en joignant l’équipe de Boréalis.
Plusieurs titres auraient pu figurer sur cette liste, entre autres : La drave de Félix Leclerc (1957), Sous les cheminées de Richard Séguin (1991), Shooters des Cowboys fringants (2012), Descendus au chantier de Mes Aïeux (2000), Par chez nous, des Cowboys Fringuants (2008), La complainte du Saint-Maurice reprise par Fred Pellerin (2011) ou encore La Manic de Georges Dor (1967).
Après l’ouïe, le palais ?
Si notre mémoire se raconte en chanson, elle se rappelle aussi à notre bon souvenir par les saveurs. Intrigué par cette affirmation ? On vous invite à découvrir le sympathique court-métrage L’ère du gros lard pour constater que les souvenirs de chantier d’autrefois passent inéluctablement par la mémoire gustative !
Article rédigé par Lisa-Marie Lemay.